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La loi française sur la sous-traitance continue de susciter des litiges et des débats 50 ans après sa promulgation


La loi française de 1975 sur la sous-traitance continue de susciter d’importants contentieux et de vives discussions au sujet notamment de son champ d’application matériel, de la mise en place et la mise en œuvre du paiement et de l’action directe, des obligations de garanties telles que les cautionnements ou délégations de paiement, et de l’applicabilité de la loi à l’international, cinquante ans après son adoption.

La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance constitue un pilier essentiel du droit français. Elle vise à garantir la transparence financière et contractuelle dans les relations entre les différents acteurs de la sous-traitance : le maître d’ouvrage, qui commande et finance les travaux ; l’entrepreneur principal, qui conclut le contrat avec le maître d’ouvrage et sous-traite tout ou partie de l’exécution des travaux ; et le sous-traitant, qui réalise les prestations sous-traitées sans lien contractuel direct avec le maître d’ouvrage.

À l’occasion du cinquantième anniversaire de la loi, le bureau parisien de Pinsent Masons a récemment organisé un petit-déjeuner conférence en présence du professeur Hugues Périnet-Marquet, universitaire de renom à l’Université Panthéon-Assas, accompagné des spécialistes de l’arbitrage Gaëlle Fillhol, William Brillat-Capello, Anne de Mazières et Laura Canet.

Cet événement a été l’occasion d’aborder plusieurs questions centrales relatives à la loi de 1975 et à ses effets concrets sur la pratique des contrats de construction.

Champ d’application matériel de la loi de 1975

L'un des principaux enjeux de la loi de 1975 réside dans son champ d'application matériel, limité aux contrats d'entreprise et aux marchés publics de construction. Ainsi, les sous-traitants ne peuvent bénéficier des protections offertes par cette loi que dans le cadre d'un véritable contrat d'entreprise.

La distinction entre contrat d'entreprise et contrat de vente autrefois basée sur la valeur relative des matériaux et du travail est aujourd'hui jugée obsolète. Désormais, cette distinction repose sur la nature de la commande : une prestation impliquant la création d'un ouvrage ou d'un produit non standardisé, conçu spécifiquement pour le maître d'ouvrage, relève du contrat d'entreprise. En revanche, la fourniture de produits standardisés ou des opérations de location, même avec un service d'installation, sont considérées comme des ventes.

Cette approche a été confirmée par un arrêt récent de la Cour de cassation. Celle-ci a qualifié l'installation d'un poêle à bois avec pose de conduit de contrat d'entreprise, malgré une valeur de main-d'œuvre inférieure à celle des matériaux

Les contrats de sous-traitance industrielle, selon la jurisprudence, sont également couverts par la loi de 1975 si le maître d'ouvrage en est informé et s’ils répondent à la même exigence de spécificité, c’est-à-dire si le produit est conçu pour un chantier déterminé et que l'élément n'est pas substituable par un bien standardisé.

Cependant, l'évolution constante des plans de fabrication complique la qualification juridique des contrats. La Cour de cassation adopte une approche stricte qui se révèle à double-tranchant pour le sous-traitant industriel, appliquant les mêmes critères pour déterminer l'applicabilité de la loi de 1975 à un sous-traitant industriel et celle de la responsabilité solidaire du fabricant en cas de désordres affectant un ouvrage selon l’article 1792-4 du Code civil. Cette rigueur a suscité des critiques, certains plaidant pour une simplification du régime applicable aux sous-traitants industriels.

Les tentatives d'extension du champ d'application de la loi sont nombreuses, motivées par la recherche de garanties supplémentaires. Les juridictions adoptent une lecture restrictive du texte pour éviter les abus et détournements de qualification. Par exemple, les entreprises de promotion immobilière cherchent parfois à revendiquer le statut de sous-traitant pour bénéficier des protections de la loi de 1975. Toutefois, la jurisprudence rappelle qu'un entrepreneur intervenant pour un vendeur d'immeuble à construire ne peut être qualifié de sous-traitant vis-à-vis de l'acquéreur final, qui n'est pas considéré comme maître d'ouvrage.

La distinction entre contrat de sous-traitance et contrat de travail est également cruciale. La Cour de cassation souligne à plusieurs reprises que le critère déterminant du contrat de travail est le lien de subordination juridique, caractérisé par l'absence d'autonomie et la sujétion aux directives. Une qualification erronée du contrat peut entraîner des conséquences significatives, notamment en matière sociale et fiscale.

Enfin, la question du champ d’application matériel de la loi de 1975 se pose également s'agissant de la continuité des travaux en cas de faillite de l'entrepreneur principal. Durant cette récente conférence qui s’est tenue dans notre bureau parisien, le professeur Périnet-Marquet a noté qu'un sous-traitant ne peut bénéficier de la protection de la loi de 1975 s'il doit prendre à sa charge, à la demande du maître d’ouvrage, des travaux non initialement sous-traités car il est alors directement dans les liens d’un contrat d’entreprise avec le maître d’ouvrage. Dans une telle configuration, le sous-traitant est directement lié à l’employeur par un contrat de travail. Il ne peut, dès lors, être qualifié de « sous-traitant » au sens de la loi de 1975, mais doit être considéré comme un entrepreneur direct, ce qui le prive du bénéfice du régime protecteur institué par ladite loi.

Action directe et paiement direct du sous-traitant

La loi de1975 a instauré deux protections majeures pour garantir le paiement des sous-traitants qui sont l’action directe du sous-traitant contre le maître d’ouvrage et le paiement direct, spécifique aux marchés publics.

L’action directe permet à un sous-traitant d’un marché privé d’agir directement contre le maître d’ouvrage, et est disponible en cascade pour les différents sous-traitants intervenant sur le chantier. Le paiement direct permet au sous-traitant d’un marché public de construction d’être réglé directement par le maître d’ouvrage public, mais ne bénéficie pas aux sous-traitants de rang inférieur.

Ces deux mécanismes permettent d’outrepasser l’entrepreneur principal, notamment en cas de faillite, et de créer un lien direct entre le maître d’ouvrage et le sous-traitant afin de pouvoir être rémunérés. Ces mécanismes sont toutefois considérés comme subsidiaires à la protection offerte par le cautionnement ou la délégation de paiement car jugés moins efficaces, bien qu’ils constituent des normes d’ordre public et que toute clause contractuelle contraire à leur mise en œuvre soit réputée non-écrite.

L’action directe et le paiement direct connaissent en effet des difficultés liées à la complexité de leur mise en place car la réunion de deux conditions cumulatives est requise : l’acceptation du sous-traitant par le maître d’ouvrage et l’agrément par lui des conditions de paiement. Si, à l’origine, le rôle du maître d’ouvrage dans la lutte contre la sous-traitance occulte sur les chantiers était passif, le législateur est venu amender la loi de 1975 dès 1986 pour lui conférer des obligations. Le maître d’ouvrage est désormais tenu, s’il a connaissance de l’existence d’un sous-traitant inconnu sur le chantier, de mettre l’entrepreneur principal en demeure de le présenter et de solliciter l’agrément de ses conditions de paiement.

En outre, l’action directe est parfois complexe à mettre en œuvre, y compris lorsque le sous-traitant est déclaré et que ses conditions de paiement ont été agréées, puisqu’il ne peut agir qu’après l’envoi d’une mise en demeure à l’entrepreneur principal, avec copie au maître d’ouvrage, restée infructueuse pendant un mois. Cette mise en demeure fige, au jour de son envoi, les montants contractuels dus au sous-traitant, ce qui exclut les sommes déjà payées à l’entrepreneur principal, et les travaux supplémentaires éventuels réalisés par le sous-traitant sans contrat ni devis.

Dans un arrêt du 7 mars 2024, la Cour de cassation a jugé que si le maître d’ouvrage omet d’exiger de l’entrepreneur principal qu’il déclare ses sous-traitants, ce dernier perd le bénéfice de l’action directe et le préjudice du sous-traitant s'apprécie au regard de ce que le maître d'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier ou des sommes qui avaient été versées à l'entreprise principale postérieurement à cette date. En revanche, selon la Cour de cassation, lorsque le sous-traitant est agréé et que ses conditions de paiement ont été acceptées, mais que l’existence d’une délégation de paiement ou d’une caution n’a pas été vérifiée, le préjudice réparable est alors égal à la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et les sommes effectivement reçues.

Cette jurisprudence, défavorable au maître d’ouvrage, en ce que celui qui n’a rien fait à l’égard du sous-traitant encourt une responsabilité moins forte que celui qui l’a accepté soulève des interrogations parmi les praticiens, certains maîtres d’ouvrage pouvant être tentés d’adopter une posture passive afin de limiter leur risque.

En définitive, si l’action directe constitue un outil important pour la sécurisation du paiement des sous-traitants, elle demeure une protection imparfaite, nécessitant des ajustements afin d’assurer un meilleur équilibre entre les intérêts des sous-traitants et les contraintes contractuelles des autres acteurs. L’évolution récente de la jurisprudence et des pratiques contractuelles montre que le cadre législatif actuel, bien que protecteur, présente certaines limites. Dès lors, la question de la réforme de l’action directe reste ouverte.

Le professeur Périnet-Marquet évoque plusieurs pistes d’amélioration, notamment par le biais de l’acceptation tacite du sous-traitant, actuellement très limitée en jurisprudence, ou encore de la révision des conditions d’agrément, afin de garantir une protection accrue aux sous-traitants sans pour autant alourdir les obligations du maître d’ouvrage.

Garanties obligatoires et délégation de paiement

Les mécanismes de cautionnement et de délégation de paiement sont également essentiels à la protection des sous-traitants en vertu de la loi de 1975.

Le cautionnement est une sûreté personnelle par laquelle un tiers, souvent une banque, s'engage à payer la dette de l'entrepreneur principal au sous-traitant en cas de défaillance. L'article 14 de la loi de 1975 exige que cette garantie soit fournie par un établissement agréé avant la conclusion du contrat de sous-traitance ou le début des travaux, sous peine de nullité du contrat. Le professeur Périnet-Marquet souligne que cette garantie doit couvrir l'intégralité de la créance, y compris les intérêts et autres accessoires, pour diminuer les risques du sous-traitant.

Il est essentiel de respecter les exigences légales, le cautionnement devant être personnel et solidaire, même si les cautions flottes sont désormais admises par la jurisprudence.

La délégation de paiement, elle, prévue par l'article 1336 du Code civil, implique un changement de débiteur, le maître d'ouvrage assumant ce rôle à la place de l'entrepreneur principal.

Ce mécanisme présente plusieurs avantages, notamment la réduction du risque de non-paiement grâce à un règlement direct du sous-traitant par le maître d’ouvrage. Il introduit également une transparence dans la chaîne contractuelle. Moins contraignant et plus simple à mettre en œuvre que le cautionnement, il est parfois privilégié dans les relations contractuelles. Cependant, la délégation de paiement nécessite l'accord du maître d'ouvrage, ce qui peut freiner sa mise en place effective.

La sanction de l’absence de l’une de ces garanties obligatoires est lourde, car elle implique la nullité du contrat de sous-traitance, c'est-à-dire que le contrat est considéré comme n'ayant juridiquement jamais existé. Cette sanction sévère est toutefois tempérée par le fait que cette nullité est relative, ce qui signifie qu'elle ne peut être invoquée que par le sous-traitant.

La jurisprudence a introduit une certaine souplesse dans l'application de cette sanction. Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a admis que le sous-traitant ne pouvait se prévaloir de la nullité s'il exécutait le contrat malgré l’absence de garantie, en connaissance de cause de ce vice.

Le professeur Périnet-Marquet insiste sur l'importance du rôle du maître d'ouvrage, qui doit s’assurer que les garanties sont bien mises en place dans les conditions prévues par la loi. À défaut, l'article 14-1 de la loi prévoit que le maître d’ouvrage peut être contraint de payer les sommes dues aux sous-traitants si l’entrepreneur principal est défaillant, évitant ainsi que le sous-traitant ne soit pénalisé par des manquements en amont de la chaîne contractuelle.

L'appréciation de la validité des garanties et des conditions de renonciation à la nullité relève du pouvoir souverain des juges du fond, ce qui peut entraîner des divergences d'application selon les juridictions. D'où l'importance pour les acteurs contractuels d'adopter une approche prudente et rigoureuse. Il est donc impératif pour les sous-traitants et les maîtres d'ouvrage :

  • d'anticiper la mise en place des garanties obligatoires dès la conclusion du contrat ;
  • de s'assurer de la validité des cautionnements et des délégations de paiement ;
  • d'éviter toute exécution du contrat sans garantie, sauf à accepter les risques liés à une renonciation implicite.

En définitive, bien que la loi ait instauré un cadre protecteur pour les sous-traitants, son efficacité repose sur la bonne mise en œuvre des garanties financières et la vigilance des parties prenantes.

Application de la loi de 1975 à l’étranger

La jurisprudence française a reconnu à la loi de 1975 un caractère de loi de police par différentes décisions. En d’autres termes, elle a pu considérer que cette loi constitue, selon la définition donnée par l’article 9 de la Convention de Rome et reprise à l’article 7 du Règlement Rome I 593/2008 de l’Union européenne, une disposition impérative qui s’applique indépendamment de la loi choisie par les parties, dès lors que le contrat présente un lien de rattachement suffisant avec la France.

Dans un arrêt de 2007, la Cour de cassation reconnaît que ce lien de rattachement est établi dès lors que l’ouvrage est construit en France, solution qui a par la suite été confirmée en 2008. Le même arrêt indique également que ce lien de rattachement suffisant peut être constitué lorsque la destination finale des produits sous-traités est en France. Le professeur Périnet-Marquet explique qu’au contraire, les juridictions françaises ont écarté l’application de la loi de 1975, lorsque le lieu d’exécution des travaux, la destination finale des produits et le lieu d’établissement des parties se situent à l’étranger.

En l’état de cette jurisprudence, relativement ancienne aujourd’hui, il persiste une incertitude s’agissant de l’application de la loi de 1975 dans le cas de situations présentant un lien plus ténu avec la France, par exemple lorsque le sous-traitant est établi en France et y réalise des travaux pour un ouvrage situé à l’étranger, ou lorsqu’un maître d’ouvrage domicilié en France commande la construction d’un projet situé hors du territoire national. Or cette question n’est pas sans incidences puisque les régimes étrangers offrent des protections souvent moins efficaces que celles prescrites par la loi de 1975, notamment en cas de faillite de l’entrepreneur principal.

Le professeur Périnet-Marquet s’interroge sur la pertinence actuelle de cette qualification de loi de police dans des situations extraterritoriales, notamment car la sanction retenue aujourd’hui pour le défaut de déclaration du sous-traitant ou d’acceptation de ses conditions de paiement est là nullité relative.

Il recommande plutôt un recours à la technique contractuelle en prévoyant l’insertion de clauses spécifiques dans les contrats qui seraient susceptibles de ne pas être obligatoirement soumis à la loi de 1975, afin de reprendre les mécanismes protecteurs de celle-ci, par exemple :

  • des clauses de délégation de paiement ou de cautionnement, permettant au sous-traitant d’obtenir un paiement sécurisé indépendamment du régime applicable, par exemple une garantie à première demande ou un cautionnement ;
  • une structuration contractuelle permettant de recourir à des procédures de règlement des différends adaptées au contexte international, notamment la médiation et l’arbitrage.

Cette intégration fonctionnelle des normes protectrices du droit français, au moyen de clauses standard et de garanties financières, offre une solution cohérente dans un contexte marqué par l’incertitude juridique entourant la portée extraterritoriale de la loi de 1975.

Co-écrit par William Brillat-Capello, Anne de Mazières et Laura Canet de Pinsent Masons.

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