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Renforcement par l’UE de la transparence salariale pour lutter contre les inégalités femmes-hommes sur le marché du travail


En ce 8 mars 2025, il y a lieu de célébrer la Journée internationale des Droits des Femmes sous le thème des droits, de l’égalité et de l’autonomisation.

Le mois de mars est le symbole tout entier de la sensibilisation et de la lutte pour les droits des femmes et notamment pour la fin des inégalités au travail par rapport aux hommes.

« A travail égal, salaire égal », qui ne rêverait-il pas de mettre enfin en pratique un tel principe pour toujours plus de transparence et d’égalité salariale ?

Rappelons à cet égard que la directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 (ci-après la « Directive ») a pour objectif de renforcer l’application du principe d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur, en mettant l’accent sur la transparence salariale et des mécanismes d’application efficaces.

Publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 17 mai 2023, cette directive doit être intégrée dans le droit national par les Etats membres d’ici le 7 juin 2026, et elle s’applique à tous, employeurs, travailleurs, autant du secteur privé que public, liés par un contrat de travail ou intérimaire.

Quels sont les principaux enjeux de cette Directive ?

Malgré des législations antérieures, à savoir notamment la loi du 15 décembre 2016 qui modifie le Code du travail et le règlement grand-ducal du 10 juillet 1974 relatif à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, un écart de rémunération entre les sexes demeure tant au sein de l’Union européenne qu’au sein du Grand-Duché de Luxembourg.

En 2023, les femmes gagnaient en moyenne 13% de moins que les hommes pour un travail équivalent. Le constat se répète chaque année. En 2024, c’est un peu moins qu’en 2023, mais il reste encore près de deux mois de travail gratuit à résorber pour compenser les inégalités salariales entre les femmes et les hommes.

Cette Directive a donc pour finalité la continuité des engagements internationaux, notamment l’article 11 de la Convention des Nations unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui appelle à des mesures appropriées pour garantir l’égalité de rémunération et de traitement pour un travail de valeur égale.

En 2021, et pour la première fois, le Gender Pay Gap (indicateur de l’écart de rémunération entre hommes et femmes) au Luxembourg est passé sous la barre des 0%, plus précisément à -0,2% en faveur des femmes. En 2021, le salaire moyen des femmes a été supérieur à celui des hommes. En 2022, cet écart a continué de se creuser en faveur des femmes, à hauteur de -0,7%. Cependant, cet indicateur comporte des limites, entre autres, le fait de ne comparer que des salaires moyens et non pas des salaires pour un travail égal, mais également le fait qu’il ne prend en compte que le salaire horaire, or les écarts entre les salaires annuels restent en faveur des hommes.

La Directive va donc s’attaquer aux inégalités et ce, dès l’embauche.

Quelles sont les principales dispositions de la Directive ?

Transparence des rémunérations
  • Informations salariales lors du recrutement : les employeurs doivent fournir des détails sur la fourchette de rémunération prévue pour un poste avant l’embauche, assurant ainsi une transparence dès le début du processus de recrutement. Une telle transparence permettra en pratique une plus grande faculté de négociation de la rémunération par la candidate, les femmes sollicitant généralement une rémunération moindre que celle des hommes.
  • Interdiction de demander l’historique salarial : les employeurs ne peuvent pas demander des informations sur les salaires antérieurs des candidats, afin d’éviter la perpétuation des inégalités salariales.
  • Droit à l’information pour les travailleurs : les employés ont le droit de demander des informations sur les niveaux de rémunération, individuels et moyens, répartis par sexe, pour des catégories de travailleurs réalisant le même travail ou un travail de même valeur.
Obligations pour les employeurs
  • Rapports sur les écarts de rémunération : les entreprises comptant plus de 100 salariés sont tenues de publier des informations détaillées sur les différences de rémunération entre les sexes, y compris pour les éléments variables comme les primes et les bonus. Le Code du travail luxembourgeois prévoit également une obligation d’information semestrielle à la délégation du personnel ainsi qu’au délégué à l’égalité des statistiques ventilées par sexe sur les recrutements, les promotions, les mutations, les licenciements, les rémunérations et les formations des salariés de l’entreprise.
  • Evaluation conjointe des rémunérations : en cas de constatation d’un écart de rémunération injustifié supérieur à 5%, une évaluation conjointe des salaires doit être réalisée en collaboration avec les représentants des salariés afin d’identifier et de corriger les inégalités.
  • Renversement de la preuve : si un travailleur estime être victime d'une discrimination salariale et établit des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, la charge de la preuve est renversée : c'est donc à l'entreprise de prouver l'absence de discrimination directe ou indirecte.

Cela peut paraître novateur puisqu’au Luxembourg, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération.

Au Luxembourg, cette charge de la preuve dans le chef du salarié est fondée sur base de l’article L.244-3 du Code du travail qui règle la charge de la preuve dans le cas de discrimination fondée sur le sexe.

La jurisprudence luxembourgeoise retient en effet qu’« il incombe au travailleur qui s’estime victime d’une discrimination de prouver qu’il perçoit une rémunération inférieure à celle versée par l’employeur à son collègue de l’autre sexe et qu’il exerce en réalité un même travail ou un travail de valeur égale, comparable à celui effectué par son collègue de référence ».

La Cour de cassation française va, quant à elle, plus loin dans le principe de transparence de la Directive, en ce qu’elle a récemment jugé que le principe d'égalité de rémunération justifie la communication de bulletins de paie d'autres salariés, même si cela porte atteinte à leur vie personnelle, lorsque c'est indispensable à l'exercice du droit à la preuve.  

La Cour de cassation française valide la décision des magistrats du fond, estimant qu’« en l'état de ces constatations et énonciations », ils ont « fait ressortir que cette communication d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail ».

Pour justifier sa position, la Cour de cassation française se réfère à plusieurs textes :

  • d’une part, au règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 , dit règlement général sur la protection des données (RGPD), et plus précisément au point (4) de l'introduction de ce texte dont il résulte que : le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité, en particulier le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ;
  • d’autre part, à l' article 145 du CPC selon lequel, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé ;
  • enfin, aux articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile dont il résulte que : le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation française a ainsi approuvé l'arrêt qui ordonne à l'employeur de communiquer à une salariée les bulletins de salaires d'autres salariés occupant des postes de niveau comparable au sien avec occultation des données personnelles à l'exception des noms et prénoms, de la classification conventionnelle et de la rémunération, après avoir relevé que cette communication d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'autres salariés était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de la salariée à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

  • Ajustement des conventions collectives : les conventions collectives et la politique de progression salariale devront intégrer une analyse détaillée des variables comme les primes ou les paiements en nature. Cette transparence s'étend aux pensions de retraite et autres avantages sociaux. La Directive exige également l'obligation de documenter chaque situation comparable entre salariés, permettant d'identifier rapidement toute discrimination directe.
Mécanismes d’application et sanctions 
  • Indemnisation des victimes : les travailleurs qui subissent une discrimination salariale ont droit à une compensation, incluant le remboursement complet des arriérés de salaire et des primes. Renversement de la charge de la preuve (incombe aux employeurs) : si un travailleur s’estime lésé par un défaut d’application du principe d’égalité des rémunérations et établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombera désormais à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination en matière de rémunération.
  • Sanctions pour non-respect : les Etats membres doivent mettre en place des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, telles que des amendes, à l’encontre des employeurs qui ne respectent pas les exigences de la Directive. Une inégalité de salaire entre un homme et une femme, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, est considérée comme une infraction dont l’employeur se rend coupable s’il ne justifie pas la différence de salaire par des critères objectifs tels qu’une différence de connaissances professionnelles. Le législateur a prévu une amende pénale entre 251 et 25.000 euros pour l’employeur qui ne respecte pas cette obligation.

A noter que le législateur luxembourgeois n’a pas instauré d’Index de l’égalité professionnelles femmes/hommes.

Or, un tel mécanisme, introduit en France par la loi du 5 septembre 2018, soumet les entreprises à une obligation de résultat. Il mesure où en sont les entreprises sur le plan de l’égalité professionnelle en agrégeant plusieurs indicateurs.

L’objectif de cette Directive vise donc bien à réduire de manière significative les disparités salariales entre les femmes et les hommes au sein de l’Union européenne.

En favorisant la transparence des salaires et en renforçant les mécanismes d’application, la Directive vise à transformer les pratiques de rémunération des entreprises et à instaurer une culture d’égalité plus marquée.

Les Etats membres, y compris la France et le Luxembourg, sont désormais engagés dans un processus de transposition de ces dispositions dans leur législation nationale, avec une date limite fixée au 7 juin 2026.

Cette Directive est une avancée majeure dans la lutte contre les inégalités salariales et constitue un levier essentiel pour favoriser une véritable égalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail européen et luxembourgeois.

Institution de deux organes par le législateur

  1. L’Observatoire de l’Égalité entre les genres qui serait chargé d’épauler les acteurs et professionnels œuvrant dans le domaine de l’égalité entre les genres au travail en fournissant des données et informations objectives en la matière et de veiller à suivre les évolutions en matière d’égalité entre les genres, et ;
  2. Le Conseil supérieur à l’Égalité entre les genres qui serait chargé, quant à lui, d’étudier et d’aviser toutes les questions relatives à l’égalité entre les genres qui peuvent lui être soumises.

Besoin de notre assistance et services juridiques pour adapter les pratiques RH à la Directive ?

Les employeurs-recruteurs doivent désormais veiller à bien structurer leurs annonces de recrutement avec des fourchettes de rémunération suffisamment précises et détaillées, abandonnant la mention "selon profil" parfois utilisée. Ceci paraît être une avancée satisfaisante, à savoir qu’une offre d'emploi qui mentionne le salaire est plus attractive en pratique.

Pour garantir au mieux l'équité salariale, les services de ressources humaines doivent également repenser leurs méthodes, à savoir que certaines pratiques et tendances RH vont devoir aller dans le sens d'une plus grande équité entre les salariés et ce, quel que soit leur genre, leur origine et leur âge.

La Directive devra être transposée en droit luxembourgeois au plus tard le 7 juin 2026. Cela signifie que ces dispositions pourront être mises en place plus tôt et qu’il y a dès lors d’ores et déjà lieu d’anticiper et d’envisager ensemble les modifications et les adaptations légales et pratiques qui s’imposent en vue de s’y conformer au mieux et le plus rapidement possible.

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